Emballages : phénomènes culturels ?
Aussi éphémères que omniprésents, les emballages incarnent à merveille les contradictions de notre temps. Témoins de l’histoire, marqueurs de la pop culture, piliers du quotidien, ils occupent un espace non négligeable dans notre psychée collective, quitte à prendre le pas sur ce qu’ils contiennent. Mais pourquoi leur accorder autant d’importance ? Décryptage avec Philippe Garnier, auteur de Mélancolie du pot de yaourt : méditation sur les emballages (2020, ed. Premiers Parallèles).
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Vous parlez, dans Mélancolie du pot de yaourt, d’objets à la “séduction éphémère”, dont la valeur s’inverse en quelques instants : pourquoi les emballages occupent-ils une place aussi importante dans notre rapport au monde et notre imaginaire ?
Voyez par exemple l’emballage individuel des madeleines à l’intérieur d’un même paquet, comme si l’on voulait donner à chacune une individualité qui nous renverrait à notre propre singularité. Il y a aussi une raison plus spéculative : la banalisation ou la standardisation des biens de consommation sur le siècle écoulé appelle plus de signes en surface. Comme l’on prête de moins en moins d’attention au contenu, devenu interchangeable, la rareté vient de l’emballage, et c’est sur lui que repose tous les espoirs des fabricants et des marques. Enfin, je tenterais une hypothèse plus hasardeuse : à mesure que les goûts sont normés et uniformisés par la publicité et les réseaux sociaux, il est demandé à chaque individu de ne pas renoncer à sa singularité, voire de la renforcer. Le sur-emballage des produits contribue à lui donner une sensation d’accéder à quelque chose qui a été conçu « pour lui » et qui l’attend intact dans son sachet ou sa dosette en plastique. Cela rejoint le paradoxe du papier-cadeau : conçu pour singulariser l’objet, il en renforce finalement la banalité.
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Amphores, jarres, vases, coffres, ce sont plutôt les contenants que les contenus qui nous sont parvenus des tréfonds de l’Histoire. Pour le meilleur et pour le pire, les emballages sont-ils les seules traces indélébiles de notre existence?
Ces contenants parlent non seulement des contenus mais de leur propre environnement, des mains qui les ont façonnés, des rituels sociétaux auxquels ils servaient. La grande différence avec notre ère industrielle et numérique, c’est que ces anciens contenants étaient conçus pour durer. À de rares exceptions, on ne cherchait pas à les faire disparaître ou à les recycler. Les tombes où l’archéologie les retrouve sont même des lieux idéalement protégés des atteintes du temps. Tout le contraire de nos milliards de tonnes de plastique : conçus pour être éphémères, ces emballages indésirables encombrent nos espaces planétaires pour une durée indéterminée, sans doute au-delà de la survie de notre espèce.
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Uniformisation des formats et des couleurs, obsession pour l’éco-conception, éloge du tas et du vrac, retour de la consigne, que disent les emballages d’aujourd’hui de notre époque et de nos préoccupations?
Le suremballage et la compétition créative des designers aboutit à une impasse : plus l’emballage est conçu pour être singulier, unique en son genre, plus vite il sombre dans la banalité. Tout ce qui cherche à réquisitionner le regard renforce à la longue la capacité d’indifférence. Le vrac, le tas et le sous-emballage répondent à un souci non seulement de circuit court, mais à une écologie de l’attention et du système nerveux. Un sac en papier kraft ou un simple tas de pommes – si riches soient-ils pour l’œil d’un photographe ou d’un peintre – ne cherchent pas à capter notre attention comme un flacon galbé ou une couleur fluorescente. Ils « convivent » avec nous sans chercher à s’imposer à l’œil.
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Vous postulez qu’“à mesure que les messages et les images s’accumulent en surface, l’intérieur perd de sa substance.”
Un emballage de luxe apparaît comme l’incarnation finale d’un certain nombre de formes valorisées – galbe et stries d’un flacon de parfum, etc –, y compris dans le nom du produit qui va chercher les consonances et connotations prestigieuses ou sulfureuses. Il se situe du même coup au bout d’un processus à la fois de production et de rêve. Il condense et ordonne une partie importante de la jouissance du consommateur. Le problème est que son système de résonances imaginaires a été entièrement voulu et pensé par le concepteur. C’est un pillage de haut vol, une sorte de « braquage », soigneusement préparé d’une banque de sensations accumulées au fils des générations. Un panier en osier ou un pot en terre cuite sont étrangers à ce genre de performance. Ils résonnent de façon très simple, mais plus puissante et plus durable, avec un environnement, un paysage. C’est un peu la différence entre un arbuste rare en pot sur une terrasse et une forêt ordinaire, mais dans laquelle on peut se promener.
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Morceaux choisis…
Un emballage qui a marqué la pop culture : le papier-bulle d’Amélie Poulain
Un emballage qui nous survivra : le plastique sous toutes ses formes
Un emballage inutile : une grande partie d’entre eux
Un emballage qui reste à inventer : une combinaison de courants d’air
Un emballage ancré dans vos souvenirs : les tubes de lait concentré, berlingots et boîtes de sardines de mon enfance