Packaging et luxe : le vert est-il le nouveau noir?
Il rime depuis plus d’un siècle avec élégance et raffinement : le noir, soustrait à l’univers du deuil par Chanel dans les années 1920 pour sa “petite robe”, fait partie de ces codes indissociables du luxe. Des collections à leurs emballages, il est une garantie intemporelle contre le mauvais-goût. Mais à l’heure de la recyclabilité, le noir, qui résiste à nos systèmes de tri, peine à justifier son statut d’icône. Et au banc des accusés, il est loin d’être le seul : matières “nobles”, emballages composites, finitions métalliques ou brillantes, impressions en relief ou vernis multicouches, les “caprices” de ces stars du packaging sont de plus en plus priés de laisser la place à des alternatives plus durables. Esthétique et responsabilité peuvent-elles faire bon ménage ?
1
Le point noir des filières de recyclage
Les solutions colorantes traditionnellement utilisées, à base de pigments noir de carbone, absorbent les rayons proche infrarouge des équipements de tri optique, et conduisent le produit directement en décharge, même lorsqu’ils sont techniquement recyclables. Un problème conséquent à l’échelle du secteur du luxe : un seul tube de rouge à lèvres représente 20 à 35 grammes de packaging…pour 3 à 4 grammes de produit utile. D’autant que cette capacité à déjouer nos tactiques de tri ne concerne pas que les emballages d’un noir de jais : du gris anthracite au violet aubergine, en passant par le rouge bordeaux ou le vert sapin, tous les coloris sombres risquent d’échapper au système et de venir grossir nos montagnes et océans de déchets.
2
Esthétique? Oui ! Recyclable ? Joker.
Autre bête noire des filières de tri : les finitions métalliques et brillantes que l’on retrouve régulièrement sur les logos des marques ou autres éléments esthétiques des emballages. Ces revêtements métalliques, ou les encres réfléchissantes utilisées, sont eux aussi souvent impossibles à séparer du matériau principal et peuvent interférer avec la capacité des équipements de tri à les identifier.
Enfin, qui dit luxe dit souvent détails décoratifs complexes : impressions en relief, rubans, ornements symboliques, les marques rivalisent d’ingéniosité pour marquer leur singularité, renforcer l’aspect premium de leurs produits et faire de leurs emballages des objets d’art et de désir. Que serait un emballage Chanel sans son camélia? Un carré Hermès sans son iconique boîte orange? Une bouteille de J’Adore sans son col serti d’anneaux dorés? Mais ces décorations ajoutent une complexité supplémentaire lors du recyclage, multipliant les matériaux. Sans compter que les adhésifs utilisés pour les fixer peuvent aussi empêcher toute tentative de traitement.
Sans remettre en cause directement ces codes esthétiques, qui participent à l’image et au prestige des marques de luxe, le niveau d’exigence de la clientèle de ces grandes maisons s’intensifie, avec un focus de plus en plus marqué sur leur bilan environnemental. Et les géants du secteur étant des entreprises comme les autres, elles subissent de plein fouet le durcissement des réglementations en matière d’éco-responsabilité. En clair : le luxe n’échappera pas à la grande révolution de la durabilité.
3
Responsable et chic, c’est possible
Le meilleur déchet étant celui qu’on ne produit pas, bon nombre d’enseignes ont commencé par réfléchir à leur consommation d’emballages pour la réduire à sa plus simple expression. Dior, Mugler, Killian ou Le Labo ont par exemple étendu leur offre de produits rechargeables, du parfum aux cosmétiques, trouvant par ce biais le moyen de fidéliser davantage leur clientèle. Dans les palaces Mandarin Oriental, les flacons et tubes jetables des produits d’accueil ont laissé la place à des distributeurs rechargeables. Et chez Panerai et Breitling, les certificats d’authenticité des montres sont désormais délivrés sous la forme de passeports digitaux assurés par la blockchain, dans un effort de réduire la taille des coffrets, longtemps seuls témoins de l’authenticité de l’article.
Pour tous les emballages qui ne peuvent disparaître, l’innovation est clé. Pas question par exemple de se passer du noir : de nouveaux pigments détectables fournissent déjà des alternatives crédibles au carbone, avec un surcoût que Citeo estime de 8 à 25% pour l’emballage. Chez DOW, le développement d’un plastique biosourcé baptisé SURLYN REN, et fabriqué à partir d’huile de cuisson usagée, offre une aux emballages plastiques transparents des gammes beauté (essentiellement les capots de parfum). On redécouvre aussi les atouts du verre, comme chez Estée Lauder qui a récemment fait évoluer l’intégralité de sa gamme Advanced Night Repair Serum vers des flacons en verre.
Les opportunités de mieux faire se trouvent aussi dans le recours aux monomatériaux et matériaux biodégradables comme le papier recyclé ou les fibres végétales. Gucci a fait grand bruit en 2020 en repensant son packaging, passé au vert pour l’occasion, de fond en comble : papier et carton issus de sources gérées de manière responsable, teint dans la masse et non recouvert de plastique, poignées en polyester 100% recyclé et nouées pour éviter l’utilisation de colles, housses de protection et de transport en coton régénéré, rubans en coton biologique et cintres en polystyrène recyclé. L’exercice a depuis essaimé dans tout le groupe Kering (propriétaire de la marque italienne), qui a publié début août 2024 son propre guide d’éco-conception des emballages.
Si la révolution est bien en marche dans le luxe, les marques devront peut-être demain tout de même renoncer à certaines de leurs habitudes comme le sur-emballage (sac + boîte + ruban + papier de soie) ou ces finitions ornementales qui entravent le recyclage, au profit de nouveaux standards plus en phase avec les objectifs environnementaux de leurs clients et actionnaires. Grâce à sa capacité à innover et à fédérer des écosystèmes, et sans rien perdre de son degré d’exigence et de sa spécificité, le luxe pourrait bien redevenir un modèle d’excellence, entraînant dans son sillage bon nombre d’autres industries sur le chemin de la durabilité.