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Réemploi, recyclage, circularité

Réemploi, recyclage, circularité : comment (vraiment) changer les mentalités ?
Comment rendre l’économie circulaire désirable ?

Pourtant récente à l’échelle de l’histoire de l’humanité, la culture du tout jetable est tellement ancrée dans nos habitudes qu’il paraît souvent difficile de faire autrement. Quels sont les leviers psychologiques et sociologiques pour généraliser les alternatives plus responsables ?

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Le hashtag « luxe » cartonne sur TikTok. Qu’il s’agisse de sacs Chanel ou d’un bracelet Hermès, l’unboxing (déballage en direct) de produits de marque y passionne les foules, rappelant à quel point rubans, cartons épais et papier de soie constituent des éléments à part entière de l’expérience même des marques haut de gamme. Dans la légende de ces vidéos, une phrase revient souvient : « Packaging is everything », autrement dit le packaging fait tout.

 
Plus le produit est cher, plus il y aura de couches d’emballages. Cela peut aller jusqu’à cinq ou six niveaux d’emballage. Ça peut être une petite crème dans un petit pot en verre, qui va ensuite être emballé dans du tissu, avant d’être placé dans du carton…
 
Sylvie Borau
Ces pratiques semblent à priori peu compatibles avec la sobriété...

Dans ce domaine, relève Sylvie Borau, professeure de marketing à la Toulouse Business School, l’un des principaux freins au packaging sobre, qui ne multiplie pas les contenants à outrance (bien que certains d’entre eux soient indispensables pour protéger les produits), est la « qualité perçue ».

C’est une croyance profondément ancrée dans nos esprits, développe-t-elle : « Plus le produit est cher, plus il y aura de couches d’emballages. Cela peut aller jusqu’à cinq ou six niveaux d’emballage. Ça peut être une petite crème dans un petit pot en verre, qui va ensuite être emballé dans du tissu, avant d’être placé dans du carton… ». L’épaisseur des matières compte aussi, ainsi que l’usage de couleurs ou du blanc « pur » qui nécessite des produits chimiques.  Mais les perceptions changent. En 2018, une étude menée par l’Ifop a révélé que les produits naturels connotaient désormais l’efficacité pour plus de la moitié des consommateurs.

« Pendant très longtemps, on a été habitué à voir des publicités montrant des produits de beauté contenant des éléments chimiques compliqués. Ça avait l’air très scientifique. Moins ça avait l’air naturel, plus cela semblait efficace. »
Sylvie Borau
Une nouvelle « charge mentale »

Au-delà de ces représentations, les consommateurs – pourtant de mieux en mieux sensibilisés aux enjeux écologiques – font face à tout un tas de contraintes psychologiques qui freinent le changement des comportements. « Tout a été fait depuis que l’on a commencé à exploiter le charbon pour simplifier nos vies », souligne l’anthropologue Dominique Desjeux. Or « la gestion des enjeux environnementaux augmente forcément notre charge mentale », diagnostique celui qui a dirigé l’ouvrage Sur la réception des innovations (Puf, 2023). Il faut bien l’admettre : il est bien plus aisé et confortable d’opter pour le tout-jetable que de réparer ses objets ou de ramener ses emballages en verre à la consigne. Dans son ouvrage Le bug humain (Robert Laffont, 2019), le journaliste et docteur en neurosciences Sébastien Bohler explique d’ailleurs que la structure de notre cerveau – et en particulier une zone appelée striatum, qui libère de la dopamine lorsque nous satisfaisons nos penchants – nous oriente spontanément vers l’option apportant le plus de plaisir immédiat.

 
Le principal facteur de changement n’est pas les valeurs ou la bonne volonté, mais les contraintes
 
Dominique Desjeux

Ce à quoi l’on pourrait ajouter les émotions. Les individus peuvent en effet se sentir « menacés » ou au contraire « sécurisés » par la nouveauté, explique l’anthropologue en prenant le cas des fruits et légumes, dont la fraîcheur est un élément clé pour le consommateur.

« L’un des problèmes du vrac est que l’on a perdu l’expertise que l’on avait autrefois pour choisir des produits qui ne sont pas emballés, avec le toucher, le visuel, les odeurs… » Une compétence à réinstaurer demain pour accompagner la massification des produits non emballés ?

Je consomme écolo, donc je suis ?

Mais la réticence à adopter les bons gestes pourrait encore avoir des origines encore plus profondes. À une époque où l’adage « je consomme, donc je suis » s’est enraciné dans les mœurs, l’adoption de comportements écoresponsables façonne aussi notre identité, expose Dominique Desjeux. Il prend alors l’exemple du bricolage, plutôt masculin, par contraste avec la pratique du zéro déchet, plébiscitée en majeure partie par des femmes issues des classes supérieures. Un constat qui rejoint celui de Sylvie Borau, qu’elle écrit dans un article paru sur le site The Conversation :

« En moyenne, les hommes adoptent moins de comportements pro-environnementaux que les femmes. Comme la consommation écologique est implicitement perçue comme un comportement féminin, cette réticence des hommes peut être inconsciemment alimentée par la crainte de paraître féminin, et donc peut-être de ne pas être attractif aux yeux du sexe opposé »
Sylvie Borau

Ces différences recoupent aussi des enjeux sociaux. Dans les classes populaires, analysent les sociologues Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier dans un article, les comportements dits « écoresponsables » tels que le recyclage, le bricolage ou la réparation émergent bien souvent d’une nécessité matérielle et financière. Des contraintes qui limitent également l’adoption de gestes qui ne relèveraient pas de cette nécessité, à l’image notamment du tri des déchets. Les chercheurs décrivent en effet une forme d’ « inertie » dans les modes de vie des milieux populaires, couplée à la « conscience de [leur] faible responsabilité » en matière de pollution, par contraste avec les classes moyennes et supérieures.

 
La responsabilité du changement vient avant tout des entreprises
 
Dominique Desjeux
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Influenceuses réemploi

Mais alors, comment impulser un changement des mentalités plus large à l’échelle de la société, sans occulter les différentes contraintes qui pèsent sur certaines catégories de la population ? La clé pourrait se loger dans les normes sociales, propose Dominique Desjeux, tout en prenant le soin de rappeler que le comportement des consommateurs n’est qu’une « partie du problème » et que « la responsabilité du changement vient avant tout des entreprises », qui doivent changer leur offre. Par exemple, en proposant des packagings écoresponsables, c’est-à-dire à la fois économes en ressources (avec juste ce qu’il faut pour protéger correctement le produit) et facilement recyclables.

 

Le rappel de la norme sociale est justement au cœur de la théorie du « nudge » émanant des sciences du comportement. Littéralement « petit coup de coude », ces dispositifs s’appuient sur le fonctionnement de la psychologie humaine afin d’inciter le consommateur à opter pour le choix ou le comportement le plus responsable  sans même qu’il ne s’en rende compte, ou presque. Comme le souligne un rapport de la Fabrique écologique, il peut s’agir de « mettre en avant un comportement réalisé par la majorité des individus de l’entourage proche (voisins, collègues…) » en expliquant par exemple que « 90 % des voisins trient leurs déchets », « quitte parfois à gonfler les statistiques. » De nombreux observateurs pointent néanmoins du doigt une efficacité variable des “nudges”, dont l’effet un peu magique qu’on lui vante peine à s’installer dans le temps.

Pour que le changement des mentalités soit durable, le changement doit être plus profond et toucher aux émotions – positives si possibles. Aux yeux de Sylvie Borau, une chose est sûre – et les études sur la consommation d’alcool et de cigarettes l’ont bien montré –, « la culpabilité fonctionne mal sur les produits “plaisir”, du soin et du bien-être, comme ceux du luxe et de la cosmétique. » Le désir est un bien meilleur levier.

En la matière, la recette est toute trouvée : les influenceurs sur les réseaux sociaux, « c’est encore ce qui fonctionne le mieux aujourd’hui chez les plus jeunes », fait-elle remarquer. Certaines stars de YouTube et d’Instagram se mettent justement à vanter les mérites d’une consommation responsable, à l’instar de Marie Lopez, alias EnjoyPhoenix. Créatrice de la marque de beauté et lifestyle Leaves & Cloud qui fait la promotion d’emballages réutilisables (à l’image des pochons en tissu utilisés pour ses box), celle-ci a été élue « influenceuse écologie » par le magazine Forbes en 2022. Et si demain, les emballages légers et « naturels », recyclables et recyclés, faisaient tourner toutes les têtes sur TikTok ?

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Sylvie Borau

Sylvie Borau

Professeur en Marketing Toulouse Business School Toulouse

DESJEUX Dominique

Dominique Desjeux

Anthropologue, Professeur émérite à l’université de Paris-Cité, CEPED, Sorbonne Sciences Humaines.

Recyclage

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