Trois scénarios pour le futur de l’emballage à l’horizon 2050
Plus que le « vêtement » symbolique du produit, le packaging est aussi une incarnation de nos modes de consommation, auxquels il se doit de proposer une expérience utilisateur sans cesse renouvelée. De la frugalité au nomadisme en passant par la digitalisation de la société, nous avons échafaudé trois scénarios exploratoires pour imaginer le futur des emballages d’ici au milieu du siècle dans différents contextes.
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Scénario 1 :
The Green Deal
Les emballages ne font pas exception à cette règle. En France, par exemple, la stratégie nationale 3R (réduction, réemploi et recyclage des emballages plastiques à usage unique) fixée début 2022 a fait du premier « R » (réduction) son fer de lance principal, et pas seulement pour le plastique. L’émergence à grande échelle de l’économie circulaire constitue une évolution logique au regard de la raréfaction des ressources et de la hausse incessante du prix des matières premières. Celle-ci a progressivement essaimé à l’échelle de la planète, entraînée par des réglementations ambitieuses au niveau européen.
Il faut dire que les années 2020 avaient déjà vu se démocratiser les colis réutilisables destinés au e-commerce de la start-up française Hipli, qui affirme qu’un de ses colis réutilisé 100 fois permet d’éviter jusqu’à 25 kilos de déchets. Puis le charme vintage de la consigne avait doucement refait surface, nourrissant la remise en question du (sur) emballage naguère déploré dans les rayons. Dans les années 2030, la plateforme d’e-commerce Loop, qui ne propose que des produits consignés, s’est quant à elle imposée comme un concurrent sérieux aux services de livraison de courses à domicile conventionnels : du riz dans des boîtes d’aluminium, du dentifrice dans des pots en verre… Tout n’est qu’une question d’habitude (et d’une chaîne logistique bien rodée, capable d’assurer un service rapide doublé d’un service de nettoyage irréprochable).
Son cousin le vrac a peu ou prou suivi la même dynamique, non sans quelques difficultés. « Il y a un vrai enjeu autour de la traçabilité, dans le fait d’identifier l’origine et la marque des aliments, ainsi que de l’hygiène », fait remarquer Gaëlle Pantin-Sohier, professeure des universités en sciences de gestion à l’université d’Angers. La puissance de séduction des marques ne risque-t-elle pas de prendre un coup ? Gagner la confiance des consommateurs, cela passe aussi par le design, assure-t-elle néanmoins en évoquant « l’authenticité et la naturalité » de Jean Bouteille, une marque lancée à Lille en 2012 pour accompagner la transformation zéro déchet. Partie du vrac alimentaire, cette PME a alors conquis le monde des cosmétiques en signant avec L’Occitane en 2022.
Finalement, à l’ère de la frugalité post-2050, les seuls emballages que l’on utilise sont ceux dont on ne peut vraiment pas se passer, à l’image des emballages primaires nécessaires à la conservation des produits (alimentaires, hygiène, entretien, cosmétiques…). Là encore, une réflexion sur les matériaux et leur décoration a permis de considérablement réduire leur empreinte environnementale. Fondateur et CEO du cabinet de design DO-Design Office, Joseph Mazoyer évoque une « limitation des matières (peintures, vernis…) précédemment utilisées pour les emballages primaires des cosmétiques, où il y a beaucoup de matières et d’effets ».
En 2050, les fabricants ont aussi appris à obtenir les matières premières différemment via entre autres des traitements chimiques innovants (sans apport de substances supplémentaires) permettant d’assurer les caractéristiques techniques originelles tout en étant recyclées. Ils se sont mis à explorer de nouveaux matériaux parfois bruts comme le bois, « sur lesquels on peut réaliser des effets très intéressants », assure Joseph Mazoyer, grâce à de nouvelles techniques de décoration respectueuses de l’environnement. En somme, le packaging n’a pas disparu, son capital séduction est toujours présent. L’emballage et son utilisateur sont devenus complices au service d’une économie durable et de la préservation de la planète.
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Scénario 2 :
Le cyber-monde
De nombreux secteurs d’activité ont vu leurs processus complètement transformés par la démocratisation de l’intelligence artificielle, du big data ou encore de la blockchain. Dans cette société hypermoderne où l’individu occupe une place centrale, il s’agit « d’obtenir le produit au bon moment, ni avant, ni après », résume Joseph Mazoyer, car « on sait exactement ce que vous consommez et à quel moment » (comme cela commençait déjà à être le cas 30 ans plus tôt, en 2020).
Dans l’alimentaire, les étiquettes connectées sur les produits ont su faire valoir leurs atouts antigaspi. Plus question de jeter des denrées avariées au fond du frigo : les consommateurs sont désormais prévenus de l’approche de la date de péremption. Même principe dans le secteur de la beauté, où les utilisateurs bénéficient de conseils personnalisés et reçoivent des alertes dès que 80 % du produit a été consommé.
Pour certaines applications, cette logique permet même de se passer de cartons pour les livraisons (ou emballages tertiaires) : le produit est alors directement déposé dans une armoire de réception ou une boîte aux lettres connectée avec un accès sécurisé. Une idée qui existait déjà au début des années 2020 avec l’envoi de colis dans un boîtier connecté, sécurisé et réutilisable, imaginé par LivingPackets.
Dans ce monde ultra-connecté, la traçabilité s’est considérablement renforcée, au plus grand bonheur des consommateurs déjà habitués à passer leur consommation au peigne fin sur Yuka ou Siga. Les QR codes et les puces NFC intégrées se sont ainsi généralisés sur les emballages : origine des aliments, certificat d’authenticité pour les produits de luxe…
On sait désormais tout sans craindre une quelconque manipulation ou contrefaçon. L’essor de la blockchain a d’ailleurs su tirer son épingle du jeu dans le domaine. Précurseur, la maison de haute parfumerie Le Jardin Retrouvé s’est associée en 2022 à Sorga, une solution blockchain française, pour garantir l’authenticité de ses fragrances à l’aide d’un passeport numérique dit « inviolable », accessible via un QR code unique en forme de diamant. Du côté de Tapp.online, entreprise hollandaise de papier intelligent, les puces intégrées aux emballages permettent également de mesurer la température, l’humidité, les chocs ou tout autre paramètre durant le transport, et de s’assurer que les produits (tels que des médicaments ou des cosmétiques) n’ont pas été exposés à des conditions susceptibles de les altérer.
Ce type d’innovations s’est enfin avéré être un allié pour le recyclage. Sortes de codes invisibles à l’œil nu pouvant contenir une multitude d’informations sur les emballages et leur contenu, les filigranes numériques présents sur les emballages constituent en effet une aide précieuse pour les caméras intégrées aux machines de tri optiques. Résultat, la qualité du recyclage s’est considérablement améliorée. Reste à savoir si l’argument suffira à convaincre les plus sceptiques face à « l’invisible pollution numérique » engendrée par ces « innovations perçues comme superflues », pour reprendre les termes de Gaëlle Pantin-Sohier. En 2022 déjà, le numérique représentait 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle globale, une proportion que l’avènement du cyber-monde n’aura fait qu’augmenter.
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Scénario 3 :
De l’hédonisme au nomadisme
Les salariés du tertiaire n’hésitent pas à mixer travail et vacances et à opter pour des contrats « full remote ». L’exode urbain et le développement du néoruralisme a vu émerger une nouvelle génération de consommateurs constamment en déplacement et toujours en quête « d’expériences », comme en atteste depuis les années 2020 la progression des néospiritualités et de l’industrie du bienêtre au sein de la société.
L’importance de l’expérience se retrouve aussi dans un rapport différent aux emballages, adaptés à ces nouveaux modes de vie. Priorité est donnée aux contenants pratiques et robustes, qu’on ne craint pas de casser ni de percer dans son sac. Côté alimentation, le bento, sorte de boîte-repas compartimentée venue du Japon, est devenu dans le courant des années 2020 un incontournable pour tous les travailleurs habitués à manger sur le pouce. Un succès en partie dû à son potentiel de personnalisation, analyse Gaëlle Pantin-Sohier.
Le secteur de la beauté n’est pas en reste. Adaptée à des usages polyvalents, aussi bien en déplacement qu’à la maison, la rechargeabilité des contenants est devenue la nouvelle norme. Avec son double packaging polyvalent, Shiseido a été pionnier : le flacon de 20 millilitres, dit « incassable », se déclipse de sa base et se glisse sans peine dans un sac à main pour une utilisation nomade. Le vanity-case, de son côté, a connu un regain de hype à l’ère du nomadisme : modulable et personnalisable, ce petit bagage rigide est devenu un must have, non plus seulement lors de voyages occasionnels mais aussi dans le quotidien ultra-mobile de ces nouveaux nomades. Dans ce contexte, un nombre croissant de marques se sont placées sur le créneau de la cosmétique « solide » (sans eau), à l’image du spécialiste français Cosmogen, qui a imaginé, dès le début des années 2020, diverses formules de soin et de maquillage sous forme de petits sticks étanches, rechargeables et dotés d’applicateurs intégrés.
Pour Joseph Mazoyer, ces évolutions signent le passage « du produit au service », avec la possibilité non pas simplement de posséder un produit, mais de recharger ses contenants fétiches (flacons, sticks et autres pots) à sa guise. Tout l’enjeu aura été d’adapter la logistique à cette nouvelle donne en déployant des réseaux de recharge suffisamment denses pour ne pas constituer une contrainte pour les consommateurs nomades. De nombreuses marques l’ont compris et se sont lancées dans un service de collecte et de recharge rapide à l’endroit choisi par le client, ce qui n’a pas manqué de générer des déplacements (et une empreinte carbone) toujours plus importants.
Des évolutions guidées par l’expérience utilisateur
Plus que de répondre aux besoins des consommateurs (qui reste sa priorité absolue), l’emballage se doit d’accompagner mais aussi d’incarner les mutations de la société, que l’on se dirige vers un monde plus frugal, plus digitalisé ou plus nomade. Les défis s’annoncent nombreux : comment vendre des packagings plus fins si les consommateurs ont davantage confiance dans la qualité des produits lorsqu’ils sont enrobés d’un emballage dur ? Est-ce compatible avec la demande d’esthétique et de personnalisation ? La balle est du côté des designers, à eux de rendre désirables les packs de demain en les enrobant de nouveaux imaginaires.
Pour Joseph Mazoyer, tout le défi dans les prochaines décennies sera de résoudre ce paradoxe apparent « d’aller vers du moins » dans un contexte d’épuisement des ressources, tout en continuant d’assurer le confort des utilisateurs. Ça tombe bien, ceux-ci sont toujours « demandeurs d’un renouveau d’expérience »…
Gäelle Pantin-Sohier
Professeur des Universités en sciences de gestion à l’IAE Angers-Université d’Angers et spécialiste de l’acceptabilité de l’innovation dans le secteur alimentaire.
Joseph Mazoyer
Fondateur et CEO du cabinet de design DO-Design Office.
Benoit Heilbrunn
Professeur et maître de conférence à l’ESCP, auteur de «Que sais-je ? (Puf) Le packaging».